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Nous, étudiant·e·s, professeur·e·s et personnel des Écoles normales supérieures, nous nous opposons à la réforme des universités telle que l’envisage le gouvernement. Le 15 février, le Sénat et l’Assemblée ont adopté la loi orientation et réussite des étudiants (ORE). En parallèle, la plateforme APB a laissé la place à Parcoursup, par laquelle les bachelier·e·s pourront désormais être refusé·e·s à l’entrée de l’université, en fonction de leur dossier, des avis de leurs professeur·e·s ou même de leurs « expériences extrascolaires ».
Il a été répété que cette réforme n’instaurerait pas de sélection, mais une « meilleure orientation des élèves », par la possibilité d’intégrer des modules de « remise à niveau » pour les refusé·e·s. Force est de constater que cette caution ne tient plus : faute de moyens, ces modules ne seront pas mis en place, ou le seront marginalement et de manière inégale selon les endroits. C’est donc bien une sélection massive qui sera instaurée pour la rentrée à venir. Si notre point de vue n’est pas celui des victimes de la réforme, il est, en revanche, celui d’étudiant·e·s sélectionné·e·s par un système fortement élitiste. Notre constat tiendra en deux chiffres : en 2015, il y avait parmi nous 2,7 % d’enfants d’ouvrier·e·s, et 6,7 % d’enfants d’employé·e·s [1]. Cette « méritocratie républicaine » est donc soit un simple mensonge, soit un formidable échec. Nous sommes là en partie parce que notre milieu social nous a donné très tôt une bonne compréhension des rouages du système scolaire, nécessaire pour faire partie des gagnant·e·s de la compétition sociale qui s’y joue. Nous avions plus de ressources que d’autres dans cette compétition, il est faux de penser que tout le monde a les mêmes chances de devenir normalien·ne. Nous refusons que l’élitisme soit érigé en modèle de société. Or, cette réforme est la caricature même d’un tri social : Comment croire que les « attendus » ne discrimineront pas socialement les lycéen·ne·s, quand ils se fondent sur l’absurde exercice des lettres de motivation, sur la culture générale, les lycées d’origine, et même sur des activités extrascolaires ? Comment croire en une université de l’égalité, quand les projets absurdes de fusion et de grands établissements, en particulier Paris-Saclay, l’introuvable PSL (Paris Sciences et Lettres) et l’« université cible » lyonnaise, assument de s’inscrire dans une compétition internationale d’établissements « d’excellence » ? Cette sélection sociale s’articule avec des préoccupations économiques tout aussi injustes : les places à l’université seront réduites dans l’objectif de pousser toujours plus de jeunes vers des métiers à bas salaires.
Nous refusons cette organisation croissante de l’université autour du marché du travail et des besoins des entreprises : tou·te·s les lycéen·ne·s, quelles que soient leurs filières, leurs lycées, doivent pouvoir poursuivre les études souhaitées dans les meilleures conditions, dans les IUT ou les universités de leur choix, en apprentissage ou ailleurs. Un grand nombre d’entre nous se destine à l’enseignement secondaire ou supérieur. Cette lutte est donc la nôtre : nous refusons d’enseigner dans un tel système, qui ne serait rien d’autre que la fabrique à outils du capitalisme sauvage imposé partout. Nous refusons d’enseigner dans des universités prétendument « autonomes » forcées de quémander auprès des entreprises privées les financements qu’on leur refuse, aggravant de fait les inégalités territoriales et la précarisation des personnels. Nous nous battrons donc pour le retrait, ni amendable ni négociable, de la loi ORE. Nous revendiquons un budget à la hauteur des besoins de l’enseignement [2], se traduisant notamment par l’embauche de personnels enseignants. Nous revendiquons la construction massive de nouvelles universités, en accord avec la hausse du nombre de bachelier·e·s. Nous revendiquons le fait qu’une réorientation ne constitue pas un échec, la non-poursuite d’études en L2, utilisée comme argument pour imposer la sélection, souligne par ailleurs les conditions matérielles précaires des étudiant·e·s. Nous revendiquons la construction de nouveaux logements étudiants, ainsi que la rénovation des actuels, bien trop souvent dans un état lamentable. Nous revendiquons la fin de l’autonomie budgétaire des universités. Par-dessus tout, nous revendiquons une université libre : indépendante du marché du travail, ouverte à tou·te·s, déconnectée de toute logique de compétition, et réaffirmée en tant que lieu de libre expression de la démocratie. Cette université libre, les étudiants en lutte en dessinent les contours dans leurs occupations qui ont permis de libérer le temps et l’espace politiques qui leur sont refusés. Nous regrettons le regard porté sur les mobilisations étudiantes et le mouvement social dans sa globalité ainsi que la réaction répressive du gouvernement. Voilà pourquoi nous soutenons le mouvement actuel d’occupation et de blocage des universités et y prenons part. Nous menons conjointement cette lutte avec tous les secteurs qui le souhaiteront : salarié·e·s et élèves de tous les niveaux de l’enseignement, cheminot·e·s, postier·e·s, éboueur·s·es, personnels de l’énergie, de la santé, des maisons de retraites, retraité·e·s, exilé·e·s, pour une société intégratrice, humaniste, soutenable. Nous sommes conscient·e·s que la sélection à l’université n’est que la dimension éducative de la direction austère, inégalitaire et court-termiste contemporaine. Nous ne nous mobilisons pas seulement contre cette réforme, mais bien contre le monde dans lequel elle s’inscrit, monde que nous combattrons, quel que soit le rôle que l’on nous y réserve.
Lien vers l’article :
http://www.liberation.fr/debats/2018/05/21/pour-normale-la-selection-est-anormale_1651640
[1] www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-enseignement-superieur
[2] Le budget par étudiant a reculé de 10% en dix ans : https://www.lemonde.fr/blog/piketty/2017/10/12/budget-2018-la-jeunesse-sacrifiee/