"Pour un Service public national d'Enseignement supérieur et de Recherche laïque, démocratique et émancipateur"
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Pour la séance du CNESER du 14 avril 2015, la CPU a proposé aux membres de cette instance un projet de motion qui avait pour titre : « Laïcité à l’université : menaces et fantasmes ».
Par l’intermédiaire de ses élus, la CGT FERC Sup a porté à la connaissance des membres du CNESER les commentaires qui suivent et sa position par rapport au texte proposé par la CPU.
Même si les deux premiers paragraphes peuvent se justifier, il n’est pas inutile de rappeler les propos du philosophe Jacques Rancière lors d’une interview pour l’Obs du 2 avril 2015, dont on peut donner la synthèse ci-après :
Au XIXe siècle, la laïcité a été pour les républicains l’outil politique permettant de libérer l’école de l’emprise que l’Église catholique faisait peser sur elle, en particulier depuis la loi Falloux, adoptée en 1850. La notion de laïcité désigne ainsi l’ensemble des mesures spécifiques prises pour détruire cette emprise. La loi de 1905 est une loi de Séparation DES Églises et de l’État. Elle garantit notamment le respect absolu de la liberté de conscience par les pouvoirs publics.
Or, à partir des années 1980, on tend à faire de cette loi un grand principe universel, alors que le concept de laïcité avait été conçu pour réguler les relations de l’État avec les Églises, la catholique notamment. Ce qui s’imposait à l’État, aux institutions et aux organismes publics se transforme progressivement en une règle à laquelle tous les particuliers doivent se soumettre. Ainsi, il ne reviendrait plus désormais à l’État d’être laïque, mais aux individus.
Dans ces conditions, comment repérerait-on qu’une personne déroge au principe de laïcité ?
À ce qu’elle porte sur la tête ?… Alors que l’enjeu majeur de la laïcité, c’était le financement : à école publique, fonds publics ; à école privée, fonds privés.
Cette laïcité centrée sur les rapports entre école publique et école privée a donc fait insidieusement place à une laïcité qui prétend régenter le comportement des individus et qui est utilisée pour stigmatiser une partie de la population à travers l’apparence physique de ses membres.
Jusqu’ici, l’école républicaine a toujours affiché sa vocation émancipatrice. La question est donc de savoir si l’école publique a pour seule mission d’émanciper les femmes ou si elle doit également émanciper les travailleurs du joug du capital ainsi que tous les opprimés et laissés pour compte de la société. Toutes les formes d’oppression devraient être combattues – sociale, sexuelle, raciale…
On assiste en fait à un processus de ciblage d’une forme particulière d’oppression (le voile des femmes ) pour mieux taire et confirmer les autres.
La question du foulard islamique dans les universités revient à nouveau en force dans les médias et certains courants politiques. Elle s’inscrit aujourd’hui dans le cadre d’un dispositif anti-terroriste du gouvernement Valls après les attentats de janvier 2015 à Paris qui consiste à faire croire que des islamistes armés se dissimulent derrière chaque coin de rue.
Il est urgent ici de rappeler les grands principes de la démocratie, de la République et de la laïcité : « La laïcité ne sépare pas l’homme de la religion, elle sépare l’État de la religion ! » écrit très justement Philippe Onfroy, dans le dernier numéro de Trait D’Union, bulletin CGT de l’enseignement privé. Ce n’est donc pas sur les individus que doit reposer la laïcité mais sur l’État et ses institutions. La dérive qui consiste à cibler les individus conduit à déresponsabiliser l’État par rapport à sa mission de faire respecter la laïcité, notamment en veillant à ce que ses représentations maintiennent avec vigilance la séparation avec toutes les Églises. C’est particulièrement manifeste dans le cas de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) où l’on s’apprête à faire la chasse aux étudiantes voilées (voir les deux affaires récentes : l’ESPE de Créteil et l’université Paris 13) alors que l’État, le ministère, les présidents d’universités bafouent ouvertement et régulièrement les principes de la loi de 1905.
L’Université, en France, a conquis de hautes luttes au cours des siècles son indépendance contre les ingérences du pouvoir et du clergé. Enseignants et étudiants ont conquis les franchises universitaires qui font des universités publiques des lieux de savoir et de liberté dans la recherche.
Ce sont ces franchises universitaires qui interdisent l’entrée des forces de police dans les facultés. Celles-ci ne peuvent pénétrer dans les facultés qu’à la demande expresse des responsables de l’Université. Les questions de discipline et d’interdits sont réglées par la franchise juridictionnelle interne aux universités qui organise la légalité du pouvoir disciplinaire. Interdire le port de vêtements religieux, ou autres, au sein des universités ; serait remettre en cause une liberté démocratique pluri-centenaire. Ce serait une atteinte caractérisée aux libertés universitaires. C’est la porte ouverte pour l’entrée des forces de police dans les campus pour « contrôler l’application des lois ». Sous le masque d’une certaine conception de la laïcité, le véritable objectif est de mettre fin aux franchises universitaires qui sont garantes des libertés démocratiques.
On peut s’étonner alors de voir les présidents d’université en appeler, par la voix de la CPU, aux principes des franchises universitaires pour défendre la liberté de la foi dans l’enceinte de leurs établissements alors même qu’ils n’hésitent plus depuis déjà de trop nombreuses années à faire entrer sur leurs campus les forces de police pour réprimer et évacuer les forces (étudiants et personnels) qui contestent pied à pied la politique d’austérité qu’ils mènent et les orientations destructrices qu’ils défendent. Ces mêmes présidents d’université n’hésitent pas non plus à déserter leurs campus pour réunir à plusieurs kilomètres de leur sièges sociaux, sous la protection de plusieurs rangs de CRS, des conseils d’administration que les forces contestataires ont envahi une première fois pour que leur voix soit entendue. Ce regain pour les franchises universitaires pour défendre la laïcité de la part de ceux qui ne répugnent pas à s’en affranchir a donc de quoi surprendre.
"Quand la laïcité est partout, elle n’est nulle part !" Les mêmes ténors qui ne cessent de se réclamer de la laïcité dans les tribunes politiques ou dans les médias, refusent pourtant avec obstination d’exiger l’abrogation de la loi Debré du 31 décembre 1959 qui organise le détournement chaque année de plus de 10 milliards d’euros de fonds publics pour les écoles catholiques.
Le troisième paragraphe qui mélange et met au même niveau fantasme des uns, insulte des unes et esprit critique des autres ne nous semble pas correspondre à la hauteur d’analyse et au recul nécessaire dont devraient pouvoir faire preuve des dirigeants d’établissements universitaires.
Il est notamment injurieux à l’égard de personnels qui voudraient faire entendre leur différence alors que ce texte se veut exalter les valeurs de la République.
Les deux derniers paragraphes quant à eux sont tout particulièrement confus. On y mêle les franchises universitaires avec le contenu des enseignements qui pourraient être menacés par l’intervention des religions sans la loi de 1905. Certes, mais les auteurs du texte se gardent bien de signaler que cette loi est régulièrement bafouée et menacée dans l’ESR par les gouvernements successifs depuis plus d’une décennie.
Rappelons par exemple, qu’avec les accords Kouchner/Vatican du 18 décembre 2008, les établissements religieux peuvent délivrer des diplômes ecclésiastiques au nom du processus de Bologne de l’Union européenne et que la République LAÏQUE les reconnaît à égalité avec les diplômes délivrés par l’université. C’est la remise en cause du principe du monopole de la collation des grades qui a fondé l’université républicaine en 1880.
De même, en février 2015, E. Valls annonce qu’une formation universitaire va être étendue dans toute la France pour compléter la formation des imams et aumôniers. Le diplôme civil et civique existe déjà dans plusieurs villes de France, dont Montpellier. Farid Darrouf, qui dirige la grande mosquée de la Paillade dans la ville de Montpellier, donne des cours depuis la rentrée à la faculté de droit de Montpellier. La formation est ouverte aux étudiants, aux aumôniers, aux imams et aux responsables d’associations religieuses. Un diplôme universitaire « religions et sociétés » va même être créé. Une douzaine d’universités devraient le proposer d’ici la fin de l’année comme l’université de Bordeaux qui dispensera dès septembre prochain un diplôme « religions et sociétés ».
Et on n’oubliera pas qu’avec la loi LRU-Fioraso de 2013, on retrouve au sein des Communautés d’universités et d’établissements (ComUE) qui sont des EPSCP, c’est-à-dire des universités, des établissements publics et des établissements privés comme les instituts catholiques par exemple.
En l’état, donc, et en l’absence de toute dénonciation des accords Kouchner/Vatican, de la création d’un DU « religions et sociétés » et des ComUE qui amalgament l’enseignement public laïque et privé à caractère confessionnel, la CGT FERC Sup ne peut signer un tel texte.
Quand ce gouvernement propose que l’université forme les imams et délivre des diplômes religieux, il viole délibérément la loi de 1905. L’État n’a pas à s’ingérer dans la gestion des cultes et à former les religieux. Ce n’est pas à la République d’assurer la formation des prêtres dans les séminaires, pas plus que celle des pasteurs, imams ou rabbins.
Les présidents d’université, avec la CPU, et le CNESER ne peuvent ignorer cela.
► Voir également : La déclaration laïcité des élus CGT FERC Sup au CNESER le 18 mai 2015