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Menu ☰Accueil > Les dossiers > La recherche > Rapport Gillet : D’accord, on va dans le mur, mais pourquoi changer de cap (...)
Le 15 juin 2023, Philippe Gillet rendait à Mme Sylvie Retailleau, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), le rapport sur « l’écosystème de la recherche et de l’innovation » qu’elle lui avait commandé dans sa lettre de mission le 1er décembre 2022.
Ce nouveau rapport sur l’ESR s’inscrit clairement dans la continuité des politiques menées dans ce secteur depuis plus de quinze ans maintenant et la loi Liberté et Responsabilité des Universités de 2007 : autonomie, financement par projet, évaluations, précarité, déclassement…
Alors même qu’il fait le constat de la triste situation où ces politiques ont conduit la recherche publique en France : « la performance de la France en termes de recherche et d’innovation (…) est plutôt moyenne et sans réelle amélioration dans la période récente » et qu’il pose un diagnostic qui fait l’unanimité : « La recherche publique reste sous-financée à l’échelle d’une puissance économique comme la France », l’aveuglement de Philippe Gillet est identique à celui des responsables politiques depuis des décennies : si rien ne va, ce n’est pas parce que la politique appliquée est mauvaise, c’est juste parce que les résultats de cette politique « ne sont pas encore perceptibles » !
Ainsi, le rapport préconise d’aller toujours plus loin dans le pouvoir individuel, par la création d’un Haut Conseiller à la Science auprès de Jupiter du Président de la République en personne. Plus prosaïquement, il s’agirait de renforcer encore le pouvoir des Directeurs d’Unités, au détriment de Conseils plus collégiaux… Et bien sûr encore et toujours plus d’évaluations, d’indicateurs, de chiffres, mais aussi de comités de toutes sortes, de pilotage, de méthodologie, d’évaluation… Enfin, il faudrait renforcer encore l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour qu’elle puisse déployer toujours plus d’appels à projets sur tout et tout le temps !
Par ailleurs, le rapport préconise de donner aux organismes de recherche une nouvelle fonction d’agence de programme, avec des missions de prospective scientifique d’abord, et de pilotage des Programmes Nationaux de Recherche (PNR) ensuite. Avec le risque de vassaliser les universités, voire de faire disparaître les « petites » universités, celles qui ne seraient pas « de recherche intensive » puisque le rapport précise qu’il s’applique plutôt aux « universités portant cette ambitions » (sic !), les autres, implicitement ne semblant pas dignes de continuer à faire de la recherche...
Pourtant, on sent poindre, ici et là, le frémissement d’un questionnement, l’amorce du début d’une introspection, bref : comme l’ombre d’un doute...
Ainsi, il pourrait ne pas être inutile, parfois, « de financer des initiatives originales qui peuvent ne pas correspondre aux grilles de lecture des appels à projets » ! Et, sous couvert de financer le « risque de la recherche », ou plutôt sa glorieuse incertitude, le rapport préconise d’utiliser 20 % des « impulsions budgétaires des PIA » pour augmenter le budget de base de la recherche.
Il s’inquiète également du début de carrière des 2000 jeunes chercheur·es et enseignant·es-chercheur·ses recruté·es chaque année, en proposant que les trois premières années, ils et elles aient un service d’enseignement allégé des 2/3 (64h TD), ainsi qu’une enveloppe budgétaire de 50 à 300 k€ par personne pour lancer leurs recherches sur trois ans. Ça ne conduira pas à la titularisation des milliers de chercheurs précaires, mais au moins cela permettra à quelques-uns de commencer à travailler plus sereinement…
Par ailleurs, il serait « compliqué de connaître le budget précis consacré à la recherche en France », puisque même la Cour des comptes n’y retrouverait pas ses petits… Avec cette conclusion frappée au coin du bon sens : « Il apparaît donc indispensable de consolider un budget global qui décline de manière lisible la stratégie de recherche ». Que diable personne n’y avait pensé avant ! Plus fort encore, le rapport préconise que le ministère de l’ESR « retrouve une place stratège de la politique de recherche et de chef d’orchestre de sa mise en oeuvre ». De Gaulle disait qu’un fonctionnaire était fait pour fonctionner, Philippe Gillet complète en précisant qu’un ministère, c’est fait pour administrer ! L’occasion de redonner un peu de pouvoir au MESR, trop souvent sous la coupe de Bercy...
Enfin, Philippe Gillet a trouvé un très beau titre à son chapitre 3 : « Simplifier pour donner plus de temps et de sens à la recherche ». Tout est dit… dans le titre seulement hélas, car de simplifications, la novlangue qui traverse ce rapport n’en dresse ni les pistes ni les mesures.
Car oui, l’immense majorité des travailleurs et des travailleuses de l’ESR aspirent à retrouver du sens à leur travail. Ce ne serait peut-être pas si compliqué si enfin l’État se décidait, plutôt que de commander des rapports à tour de bras, à investir massivement dans l’enseignement supérieur et la recherche et à traiter dignement celles et ceux qui, tous les jours, assurent, envers et contre tout, leurs missions de service public.
La CGT FERC Sup revendique d’augmenter, en euros constants, le budget de l’ESR, avec la hausse du financement d’État récurrent et pérenne des établissements comme des laboratoires, ainsi que l’ouverture des postes statutaires nécessaires pour mettre fin à la précarité et répondre aux besoins criants, la fin du financement par projet, notamment de l’ANR et du HCERES. Elle exige qu’un budget équivalent au Crédit Impôt Recherche, niche fiscale colossale de 7,5 milliards d’€ sans efficacité pour la recherche, revienne à la recherche publique. Elle lutte pour l’arrêt des restructurations du secteur et la fin de "l’autonomie" en trompe l’oeil des établissements.