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Menu ☰Accueil > Les dossiers > ESR et territoires > IDEXclusion > "L’excellence", c’est l’exclusion
La course à l’ « excellence » des universités a de quoi surprendre. Pour un universitaire dont le travail repose sur le doute et l’esprit critique, l’ « excellence » auto-proclamée n’a guère de sens. Elle ne fonde ni un projet scientifique ni un enseignement. Elle ne cherche pas plus à mobiliser et fédérer. Cette « excellence » n’est pas un objectif mais un principe discriminant destiné à exclure.
C’est une perversion du langage à laquelle nous sommes désormais habitués. La loi LRU de 2007 n’a pas donné l’autonomie aux universités. Outil de la RGPP, elle a provoqué l’éclatement du service public d’enseignement supérieur et de recherche, poussé les universités vers des financements privés, accru le contrôle de l’État sur les établissements et restauré le mandarinat. Aujourd’hui, l’ « excellence » est agitée comme un leurre pour accélérer la transformation en profondeur de l’enseignement supérieur. Elle ne se partage pas. Elle est réservée à quelques rares élus et, en aucun cas, il ne s’agit de créer les conditions pour que chacun puisse y accéder.
Parmi les 27 projets Initiatives d’excellence (IdEx) qui ont été déposés, seule une poignée bénéficiera de la manne du Grand Emprunt. Sur 336 candidatures, seulement 52 projets Équipements d’excellence (ÉquipEx) viennent d’être sélectionnés et les projets Laboratoires d’excellence (LabEx) seront soumis au même régime. C’est un système universitaire à deux vitesses qui se met en place : ceux qui, peu nombreux, seront pourvus et tous les autres, exclus du régime de l’ « excellence », réduits au statut d’établissements de seconde zone. Ainsi mis en situation de concurrence, les différents acteurs de l’enseignement supérieur vont développer leurs propres stratégies d’exclusion. Les logiques commerciales, la course aux parts de marchés et les effets de la concurrence vont entraîner des suppressions de disciplines et de formations, des restructurations, regroupements et mutualisations. Les enseignants, personnels et étudiants concernés seront sacrifiés au nom du marché et du « cœur de métier ». Personne n’est à l’abri. Avec la télévision qui habitue à jouer ou voter pour exclure, on a pu constater qu’en situation de concurrence, ce ne sont pas toujours les maillons les plus fragiles qu’on choisit d’éliminer mais aussi ceux qui peuvent faire de l’ombre ou empêcher d’avancer.
Au sein des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), instances supra-universitaires porteuses pour la plupart des projets (IdEx), ce sont les chefs d’établissements qui décident seuls, entre eux. Les communautés universitaires des établissements membres sont exclues des discussions et des décisions qui, à l’instar du fonctionnement de l’Europe, s’imposent ensuite à elles. Côté personnels, le système de primes au mérite qui se généralise organise la concurrence entre personnels. Seuls quelques rares privilégiés en bénéficient. Tous les autres personnels subissent l’aggravation des conditions de travail consécutive à la réduction des effectifs sans aucune contrepartie financière. Pour les étudiants, le dispositif d’ « orientation active », entièrement piloté par les universités, est un système de tri sélectif qu’elles vont utiliser pour repérer et choisir ceux qu’elles jugeront dignes d’accéder à la recherche. Parallèlement, la réforme de la licence que vient d’engager la ministre prépare les conditions de sortie de tous les autres dès la licence. C’est un processus de sélection et de ségrégation sociales accru qui se met en place.
L’exclusion ne vient pas seule. Avec le basculement d’une gestion des emplois de l’État vers une gestion locale, les personnels sont désormais subordonnés à leurs établissements et ne travaillent plus seulement pour le bien commun. Ils contribuent à l’enrichissement d’un patrimoine que les établissements, poussés par la concurrence, ne vont pas manquer de s’approprier. À terme, ce sont les stratégies de marques et de positionnement sur le marché de la connaissance voulu par la Stratégie de Lisbonne (2000) qui vont primer. Ce qui va avoir pour conséquences, une réduction de l’offre de formation, un resserrement des champs de recherche et l’augmentation prévisible du coût de l’accès à l’enseignement supérieur. Tout comme l’appropriation du patrimoine génétique agricole par les grandes multinationales de la semence met en danger la biodiversité, c’est un appauvrissement des connaissances qui menace.
Pour enrayer ce processus de confiscation et de marchandisation du savoir, un service public qui dépasse la seule notion de service « au » public est plus que jamais indispensable. Un service public qui garantisse à tous un libre accès à la formation supérieure et à la recherche quelle que soit l’origine sociale ou géographique, et non comme on nous l’impose aujourd’hui, un ersatz de service public qui créé les conditions de l’exclusion et permette aux élites de se reproduire.
Article publié par l’Humanité le 21 février 2011
sous le titre "L’excellence est agitée comme un leurre : elle mène à l’exclusion"