"Pour un Service public national d'Enseignement supérieur et de Recherche laïque, démocratique et émancipateur"
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Même si, jusqu’en 2007, l’université française avait subi différentes attaques avec plusieurs réformes et nombre d’évolutions ou modifications structurelles, les principes fondateurs du service public d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) demeuraient préservés pour l’essentiel. Le caractère national des diplômes était maintenu et le service public garantissait une égalité de traitement aux usagers avec des formations et diplômes aux contenus équivalents sur l’ensemble du territoire. La loi LRU-Pécresse (2007) qui instaurait l’« autonomie » des établissements a opéré un premier basculement majeur qui a provoqué une première phase d’éclatement du service public d’ESR. Chaque établissement était alors doté de responsabilités et compétences élargies (RCE) qui le rendaient responsable de la gestion directe de ses personnels et d’un budget global intégrant la masse salariale. Malgré la défaite de Nicolas Sarkozy aux présidentielles de 2012, la loi LRU-Fioraso (2013) confirmait cette orientation et l’amplifiait en engageant une recomposition en profondeur de l’ESR qui impose un regroupement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche (publics et privés) d’une même zone géographique au sein des communautés d’universités et d’établissements (ComUE). Au sein de ces nouvelles universités régionales, sous couvert du fallacieux prétexte d’une recherche permanente de l’« excellence », les universités présentes sont sommées de fusionner si elles veulent obtenir les financements liés aux investissements d’avenir. En moins de 10 années, le service public d’ESR est donc soumis à un plan de restructuration d’ampleur nationale, dévastateur, qui vise à réduire le nombre d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche pour passer d’un peu plus de 180 établissements à une trentaine.
Ce vaste plan de restructuration coïncide avec toute une série de réformes et dispositions particulières dont l’addition constitue, une fois le puzzle reconstitué, une réelle opération de démantèlement du service public national d’ESR comme c’est le cas dans d’autres secteurs (santé, culture, équipement...).
La réforme territoriale de l’État est la pièce maîtresse qui donne tout son sens à l’ensemble de tous les dispositifs. Sa mise en oeuvre se poursuit à marche forcée :
Corrélée à la poursuite des politiques d’austérité au titre des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale 2016 ou encore la revue des missions de l’État, et avec en toile de fond le pacte de responsabilité et la loi Macron, cette réforme territoriale de l’État confirme la volonté gouvernementale d’opérer de nouvelles offensives contre les politiques publiques, leurs dimensions nationales et ministérielles, leurs conditions de mise en oeuvre. S’ouvre ainsi une nouvelle séquence de mutualisations, de fusions, de restructurations, de délocalisations (comme c’est le cas en ce moment avec l’IFREMER), de spécialisations régionales, de regroupements, de fermetures de services publics qui s’accompagne d’une nouvelle diminution drastique des moyens budgétaires alloués au financement de toutes les dimensions de l’action publique.
La réforme territoriale de l’État est aussi constitutive de nouvelles attaques contre les conditions de vie, au et hors travail, des personnels des trois versants de la Fonction publique, avec des mobilités géographiques et fonctionnelles contraintes mais aussi la mise en oeuvre de nouvelles modalités de travail brisant les collectifs de travail et les solidarités internes : restructurations permanentes (changements d’organigrammes, réorganisations et déménagements, fusions de services, télétravail, travail à distance…).
Le tout conduisant à la mise en concurrence des personnels et au délitement des liens sociaux sur les lieux de travail.
Pour les personnels non-titulaires, la mise en œuvre de la réforme ne fera que précariser encore davantage des salariés déjà bien vulnérables. L’objectif affirmé de la réforme ne se cache même plus puisque le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, entend bien remettre en cause le statut de la Fonction publique pour en finir avec la sécurité de l’emploi des fonctionnaires.
Enfin, la réforme territoriale de l’État devrait se traduire par la suppression de près de 10 000 emplois dans la seule Fonction publique d’État. Il est notamment clairement annoncé que les Directions départementales interministérielles continueront à porter les efforts de réduction d’effectifs pour 1/3 des baisses contre 2/3 pour les Directions régionales…
Le Gouvernement a confirmé sa volonté d’adopter et de publier dès le mois de septembre 2015, différentes mesures dites d’accompagnement des personnels : il s’agit du plan d’accompagnement RH de la réforme élaboré par la DGAFP. C’est en réalité un plan social que le gouvernement s’efforce de ne pas afficher comme tel !
En quoi consiste ce plan social dit « d’accompagnement » ?
Il vise principalement à supprimer les obstacles statutaires à la mobilité :
• Assouplissement des conditions en matière de détachement et d’intégration,
• Intégration directe,
• Affectation en position normale d’activité, etc.
• Accompagnement financier des mobilités ou reconversions,
• Prime de restructuration de service et une allocation d’aide à la mobilité du conjoint,
• Indemnité de départ volontaire et évolution du dispositif qui permet aux agents dont l’âge est proche de la retraite de cesser leurs fonctions en percevant une prime de départ,
• Indemnité temporaire de mobilité,
• Indemnité d’accompagnement à la mobilité,
• Favoriser les mobilités interministérielles et l’ouverture vers d’autres versants de la Fonction publique (mobilités inter FP),
• Complément indemnitaire d’accompagnement (CIA),
• Compensation des différentiels de taux de cotisation entre versants de la Fonction publique...
• Projet de décret « télétravail »,
• Priorité de réaffectation des fonctionnaires dont l’emploi est supprimé (Projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires).
Il faut remarquer que dans ces fiches RH élaborées par la DGAFP, il n’est question que d’« agents », sans aucune précision concernant leur statut : titulaires ou non titulaires !
Par ailleurs, des travaux devraient être engagés dans les territoires quant à l’élaboration de l’organisation (définition de micro-organigrammes) des nouvelles directions régionales de l’État.
Les comités techniques et les CHSCT compétents seront saisis dès la fin septembre.
D’autres pièces du puzzle législatif accompagnent et complètent cette réforme territoriale de l’État :
Le projet d’accord PPCR (Parcours Professionnels Carrières Rémunérations)
Le projet de décret télétravail
Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires
L’axe 1, intitulé « Renforcer l’unité de la Fonction publique pour l’adapter aux évolutions de l’action publique » contient des éléments comme la création de corps interministériels permettant les transferts de personnels d’un ministère à un autre, la poursuite des fusions de corps, ou la « simplification » des architectures des 3 versants de la Fonction publique. Il s’agit en fait de faciliter les passages de l’une à l’autre afin de « favoriser la mobilité des fonctionnaires ».
De même dans la partie 1.2, intitulée « Renforcer l’unité de la Fonction publique, dans le respect des spécificités de chaque versant » l’accent est-il mis sur la mise en œuvre d’un dispositif favorisant les mobilités des agents entre les trois versants de la Fonction publique.
Ces dispositions sont à mettre en lien avec les mesures préconisées par le plan social « d’accompagnement » de la DGAFP concernant la nécessaire « mobilité fonctionnelle et géographique » induite par la réforme territoriale de l’État.
De la même façon, l’esprit de cet accord proposé par le gouvernement doit être rapproché de la mise en œuvre du nouveau régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel, le RIFSEEP, qui remet en cause fondamentalement le principe d’égalité de traitement des fonctionnaires et le statut général de la Fonction publique ancré sur le droit à une carrière et sur la séparation entre grade et fonction.
Les dispositions sur le télétravail dans la Fonction publique avaient été glissées subrepticement dans un des articles de la loi Sauvadet de mars 2012. Mais la DGAFP ne semblait pas précipiter le mouvement pour la rédaction d’un décret d’application jusqu’à ce jour du 25 avril 2015, au conseil des ministres, où la ministre de la décentralisation et de la fonction publique découvre la panacée pour la mise en œuvre du plan social « d’accompagnement » : « Le télétravail sera par ailleurs développé afin de faciliter l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des agents devant effectuer une mobilité. Un décret en Conseil d’État sera pris d’ici à l’été et précisera, concrètement, les droits et obligations des agents en situation de télétravail ».
Malgré la soudaine fébrilité ministérielle autour de ce décret, celui-ci ne sera soumis au Conseil commun de la Fonction publique que les 21 et 24 septembre 2015.
L’article 19 modifie l’article 13 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée afin d’unifier la structure des corps et cadres d’emplois entre les trois versants de la Fonction publique autour des trois mêmes catégories hiérarchiques (A, B et C).
Le projet de loi habilite en outre le gouvernement à légiférer par ordonnance pour faciliter la mobilité entre versants de la Fonction publique.
Il prévoit de :
rassembler au sein de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, les dispositions relatives à la mobilité ;
réduire le nombre de positions statutaires et de simplifier le droit de la mise à disposition pour favoriser la lisibilité et la sécurité juridique de la mobilité des agents publics.
« Moderniser » les dispositions relatives aux changements d’affectation.
Cela nous renvoie une fois de plus aux dispositifs qui vont être mis en place par le plan social « d’accompagnement » de la réforme territoriale de l’État.
Dans ce contexte, la conjonction de la loi LRU-Fioraso imposant le regroupement géographique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche avec la réforme territoriale de l’État et des dispositifs qui l’accompagnent consacre la régionalisation/territorialisation de l’ESR qui remet en cause les principes qui ont permis son développement pendant plusieurs décennies.
Les universités et les organismes de recherche (EPST) relèvent à présent d’une même « gouvernance » désormais plus que jamais « territorialisée » par la loi NOTRe, sous l’égide de l’État qui pilotera par la contrainte financière les communautés d’universités et d’établissements (ComUE). Ces dernière vont permettre le développement de fusions d’établissements élaborées à l’abri des regards et hors de tout contrôle démocratique dans les antichambres des directions comme viennent de l’annoncer par exemple, unilatéralement, les présidents des universités Paris 4 et Paris 6.
Cette recomposition à marche forcée et en toute opacité, sans que les personnels puissent avoir un quelconque droit de regard, restructure en profondeur l’enseignement supérieur au profit d’un système à deux vitesses : d’un côté des établissements sélectifs chers pour une clientèle d’élite ou fortement endettée, fournissant des formations de qualité ; de l’autre, des collèges universitaires sous perfusion pour les étudiants des classes populaires délivrant des diplômes dévalorisés de moindre niveau pour le plus grand nombre, s’ils parviennent à s’inscrire.
Les ComUE, qui ont vocation à absorber tous les établissements relevant de la région, sont un exemple frappant de la politique de la réforme territoriale de l’État. Elles organisent le démantèlement du service public national d’ESR. Chaque région va élaborer, en concertation avec les collectivités territoriales un schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Ce dernier vise à définir des orientations partagées entre la région et les autres collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale. Ce schéma régional vient renforcer les prérogatives des régions et un ESR à plusieurs vitesses. Les ComuE et les fusions deviennent ainsi le bras armé de la réforme territoriale de l’État pour la mise en œuvre de la régionalisation de l’ESR.
Il ne faut pas se leurrer : les restructurations, fusions ou ComUE impliquent nécessairement des mutualisations inévitables qui ont des conséquences sur les personnels : suppressions d’emplois, mobilités contraintes, reclassements, etc. Le plan social « d’accompagnement » de la DGAFP concerne directement les personnels de l’ESR. À cela, il faut ajouter la dégradation des conditions de travail pour celles et ceux qui en réchapperont avec pour corollaire un surcroît de la souffrance au travail.
Un exemple
Le Canopé. Passage de 29 centres académiques autonomes à l’établissement unique. Une sorte de vaste ComUE avec 13 ateliers Canopé correspondant aux 13 régions de la réforme territoriale de l’Etat. Fermeture de 70 médiathèques sur les 171 existantes. Le plan social « d’accompagnement » de la DGAFP va s’appliquer sur les 1600 agents du Canopé. Pour mémoire, la délocalisation du siège social de l’ex-CNDP (devenu Canopé) dans les années 2000 de l’Ile-de-France à Chasseneuil-du-Poitou : 740 agents en IDF en 2002, aujourd’hui 330 agents au Futuroscope !
Dans l’industrie, les restructurations ont provoqué une perte des savoir faire et le resserrement de la production qui a abouti à une destruction massive d’emplois et à la désindustrialisation du pays au profit d’une mondialisation de l’économie nationale. On peut aisément imaginer les ravages que va provoquer cette restructuration de l’ESR en terme de perte de compétences et de capacité à élaborer et diffuser de nouveaux savoirs. L’exemple du Japon qui vient de demander à l’ensemble des universités du pays de supprimer les formations en sciences sociales ne peut qu’inquiéter sur l’avenir de l’ESR. Avec la concurrence entre établissements et régions, ce sont les diplômes nationaux qui constituent le socle des qualifications sur lesquelles reposent les garanties collectives des travailleurs.