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Menu ☰Accueil > Les dossiers > Enseignement supérieur > Loi Vidal - ORE (2017-2018) > Réforme du 1er cycle post-bac : une consultation alibi
Suite à la médiatisation de l’échec programmé du dispositif Admission PostBac (APB) et du recours au tirage au sort par des Universités débordées par l’afflux d’étudiants dans certaines disciplines, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a mené tambour battant une séquence qu’elle qualifie de « concertation » en vue de la réforme des conditions d’accès aux études supérieures.
Après les rencontres générales de l’été qui ont eu lieu dès le mois de juillet, une nouvelle phase s’est achevée mi-octobre, celle des groupes de travail thématiques. On s’approche de la conclusion attendue : la soumission du service public de l’ESR à une nouvelle logique de tri sélectif des étudiant·e·s.
Comme il en a pris l’habitude depuis quelques années, le ministère ne négocie pas : il ne communique jamais sur ses projets, ce qui serait le préalable à une véritable négociation sociale. Lors de sa conférence de presse de rentrée le 28 septembre 2017, la ministre en fait même un principe : on ne pose pas de projet précis sur la table, on laisse la discussion ouverte. On prétend alors se livrer au jeu du « think tank » avec les organisations sociales, en contournant les instances représentatives légitimes, à commencer par le CNESER où les élu·e·s syndicaux ont dû refuser de siéger lundi 16 octobre pour forcer la ministre à venir tout de même lui présenter les résultats des discussions.
Réuni·e·s dans un cadre détendu, les représentant·e·s des organisations, associations et établissements les plus divers sont invité·e·s à livrer leurs idées et propositions, avec une liberté totale (« ce que nous disons ici n’engage que nous », tel était le message des rapporteurs des groupes de travail), au sein desquelles, nous annonce-t-on, la ministre, elle aussi très librement, piochera ce qui lui plaît (ou ce qui servira le mieux son projet). Le rapport Filâtre issu de cette phase de supposée concertation et présenté en grande pompe jeudi 19 octobre, devrait même être soumis à une nouvelle phase où chacun sera invité à vérifier qu’il y reconnaît sa position, de telle sorte que la ministre puisse finalement prétendre avoir été profondément à l’écoute des « partenaires sociaux ». La mise en scène de la pluralité des opinions permet d’y entendre ce que l’on souhaitait y entendre.
Nos représentant·e·s ont ainsi pu admirer l’habileté avec laquelle les rapporteurs des groupes instillaient au sein des discussions les idées que le rapporteur général ferait mine de découvrir et qui recoupaient miraculeusement celles qui se dessinaient depuis quelques mois au fil des interventions de la Ministre, dans la presse et sur les réseaux sociaux : le tri des étudiant·e·s sur la base de prérequis et l’individualisation des parcours par la logique du contrat.
Dans le brouhaha de ces rencontres, la logique du ministère et de la Conférence des présidents d’université (CPU) s’est progressivement imposée :
La rhétorique de la ministre s’appuie sur l’idée que les prérequis ne sont surtout pas de la « sélection ». Mais le rapport Filâtre prépare audacieusement le terrain en établissant une échelle continue qui va de l’accès libre à la sélection : option A (accès libre aux bacheliers), option B (accès libre avec recommandation), option C (accès sous conditions) et option D (accès « sélectif »).
Toute l’habileté du rapporteur et de l’équipe ministérielle est là : ces options défendues par les uns ou les autres, il suffit de les faire exister ensemble, dans une gradation continue, dont on active les différents niveaux selon les situations. La diversification et l’individualisation des parcours créera un espace au sein duquel on pourra à la fois conserver de l’accès libre à certaines formations, ou soumettre cet accès à des conditions comme suivre un MOOC avant la rentrée pour d’autres, ou encore, là où les filières sont vraiment sous tension, activer l’option sélective.
À l’heure où les études internationales font état de l’éclatement de la bulle des MOOC, les revoici ressurgir p. 16 du rapport, pour prouver que les « prérequis » ne sont pas sélection ! Mais l’exemple donné d’un MOOC « préparation à l’entrée dans les études de santé » qui permettrait de valider les prérequis exigés laisse entendre qu’il pourrait être réservé uniquement à certain·e·s suivant le baccalauréat d’origine. En effet, le rapporteur précise : « Ces prérequis différents selon les modes d’entrée, garantiraient la possibilité d’accès aux études de santé, à différents profils de bacheliers ». Cela signifie-t-il qu’on demanderait aux candidat·e·s aux études de santé qui sont contraint·e·s de passer par l’étape d’un MOOC soit de préparer leur examen d’entrée à l’université en même temps qu’ils préparent leur examen du baccalauréat soit de s’inscrire dans une officine privée pendant une année supplémentaire pour préparer leur examen d’entrée pour accéder aux études de santé ?
On transforme ainsi le système d’ESR en grand système de tri sélectif, orientant chacun vers les parcours auxquels il peut avoir le droit en accès libre et soumettant l’accès à d’autres parcours à des degrés divers de sélection.
Parallèlement, on aura pris garde de préserver hors universités les parcours sélectifs : la ministre a un temps évoqué la possibilité d’ouvrir les IUT et les BTS aux bacheliers technologiques et professionnels... pour lesquels ils ont été conçus ! Gageons qu’on n’aura pourtant pas ce courage, celui d’exiger que les filières sélectives prennent aussi leur part de responsabilités.
On préférera probablement, après avoir dit bien haut que l’Université n’est pas faite pour tout le monde et que les bacheliers professionnels et technologiques n’y ont pas vraiment leur place, les y laisser mais après avoir changé la nature des diplômes proposés et l’environnement où ils sont délivrés.
C’est là en effet l’autre grande audace du rapport Filâtre, que d’appeler, dans sa proposition 9, à « réorganiser le cursus de licence ». Ce diplôme national est en effet fort contraignant : il définit notamment le cadre disciplinaire qui assure que chaque licence est un enseignement adossé à la recherche, une qualité que n’a pas l’enseignement délivré dans les filières sélectives actuelles. La logique du tri sélectif suppose des parcours à la carte, libérés d’un tel cadre. Il s’agit surtout de réserver l’enseignement nourri par la recherche à certain·e·s seulement, et de créer un nouveau premier cycle universitaire qui renonce à cette ambition.
Les grandes manœuvres en cours dans les Communautés d’universités et d’établissements (ComUE), à Paris Seine, Paris Saclay ou à Lyon, annoncent la prochaine étape de la restructuration des universités : séparer une entité assignée à la recherche (masters, doctorats) et destinée à fusionner avec les Écoles et organismes de recherche d’un côté, et de l’autre, des collèges universitaires chargés de répartir les masses dans la diversité des parcours, notamment de nouveaux parcours « professionnalisants », dont peu mèneront en master. Les nouvelles Universités de recherche sauront aller chercher leurs étudiant·e·s dans les filières sélectives qu’elles organiseront parfois elles-mêmes. La politique de restructuration et d’autonomie des établissements apparaît ainsi comme l’outil d’un système de tri, assignant chacun, de la seconde à la L3, dans des parcours et des établissements d’« excellence » ou de relégation. On peut imaginer que les collèges universitaires pourront opérer avec des enseignants « moins » chercheurs, acceptant des charges d’enseignement plus lourdes sous couvert d’ « excellence » et de « primes » pédagogiques.
Nos représentants dans ces groupes de travail ont rappelé sans relâche les fondamentaux qui semblaient absents des prémisses du débat :
Un étude de l’IREDU (La documentation française, 2017, voir Le Monde du 20 octobre 2017), montre que les taux de réussite sont plus élevés dans l’antenne du Creusot qu’à l’Université de Dijon, malgré des taux de bacheliers professionnels et technologiques plus élevés, grâce à un environnement où les étudiant·e·s ont l’occasion d’avoir une relation plus individualisée avec leurs enseignant·e·s-chercheur·e·s. C’est là la vraie individualisation ! Pouvoir profiter, où qu’on soit, de professeurs qui ont le temps de se consacrer à leur recherche, qui sont présent·e·s et disponibles pour leurs étudiant·e·s. Il est par ailleurs très étonnant que le ministère ait cru pouvoir organiser une concertation sur l’innovation pédagogique en premier cycle sans commencer par interroger la communauté savante en sciences de l’éducation. Des enseignant·e·s-chercheur·e·s travaillant depuis longtemps sur la pédagogie universitaire, il y en a : commençons par les entendre !
La CGT FERC Sup n’est pas dupe de la méthode mise en œuvre par la ministre qui cherche à faire endosser une partie de la responsabilité de la mise en œuvre de la sélection aux organisations syndicales. La CGT FERC Sup refuse de servir d’alibi à ce simulacre de concertation. Lorsqu’ils ont été présents dans les groupes de travail, les représentants de la CGT FERC Sup se sont bien gardés d’apporter une quelconque caution à cette manipulation du ministère.
La CGT FERC Sup appelle les personnels des établissements d’enseignement supérieur et de recherche ainsi que les étudiant·e·s à se mobiliser dans les établissements et à organiser une résistance la plus large possible à la mise en place du tri sélectif tout au long du cycle Bac ± 3 qui renforcera les inégalités et organisera la rareté de l’accès à des études supérieures de qualité.
Les lycéen·ne·s et étudiant·e·s seront non seulement mis en concurrence les un·e·s avec les autres mais seront amené·e·s à s’endetter lourdement, à l’instar des étudiant·e·s anglo-saxons, pour suivre les études de leur choix avant même d’être entré·e·s dans la vie professionnelle.
► Communiqué interfédéral du 18 octobre 2017 • Concertations au MESRI : pas de constat partagé !
► Déclaration intersyndicale des élu·e·s du CNESER du 16 octobre 2017 • Le CNESER n’aura pas lieu sans la ministre